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Etre à sa place pour glaner ces graines invisibles semées dans l’escarcelle de nos destins…

Quand vous participez à un marché, qu’il soit grand ou petit, vous avez votre place. Réservée ou pas, incontournable ou discrète, au soleil ou à l’ombre, au centre ou à la périphérie… c’est votre place. Au-delà de ces quelques mètres carrés de terre battue, vous prenez place dans un ensemble, souvent une place de village, entouré d’autres personnes qui occupent elles-mêmes leur place. Il y a des jeunes qui débutent et des vieux, dont la peau tannée confirme qu’ils sont rodés à l’exercice. Chacun occupe son stand. Certains constituent une valeur sûre, comme ce cuistot qui fabrique ses frites maison, en face du stand de crêpes… D’autres estancos misent sur un savoir-faire traditionnel comme cette artisane en vannerie ou ces fabricants de bijoux… quand certaines échoppes innovent, telle ce couple qui vend des plantes « sans-terre » ou ce tourneur sur bois qui sculpte discrètement de véritables œuvres d’art…

Le marché : un écosystème varié où chacun est à sa place…

Derrière les apparences, chaque planche, posée sur deux tréteaux, cache une surprise… Peu à peu, chacun se découvre et des liens se tissent : l’un goûte les confitures de l’autre qui demande comment on fabrique un si beau panier… On se surveille nos étalages le temps d’une pause, on se fait la monnaie, on s’échange des impressions, des conseils, des adresses… On fraternise et parfois, de futurs partenariats se nouent naturellement. Professionnels ou amateurs, au milieu des bénévoles qui organisent le marché, chacun à sa place, nous formons un ensemble bigarré et éphémère dans un parc beau et paisible traversé par la rivière. C’est là que nous, les exposants d’un jour, accueillons les visiteurs. Il y en a de toutes sortes. Il y a les locaux, qui résident à l’année sur le territoire et occupent leur place habituelle. Il y a les touristes, qui ont quitté momentanément leur place et viennent parfois de très loin… Mais il y a aussi ceux qui n’ont pas de place, que la vie a désorienté et qui errent dans le parc, en quête d’un moment d’écoute, d’un regard bienveillant qui les considèrera sans peur ni jugement. Celui-ci m’a offert un bouquet de sauge et parlé fugacement de sa grand-mère qui connaissait les plantes… celle-là nous a brusquement interrompu d’un monologue passionné et peu cohérent, pour nous-autres, sur la musique !

Une table de camping recouverte de gâche d’imprimerie, une écorce d’arbre peinte, un présentoir récupéré de la déchèterie, un vieil escabeau supportant un cadre coloré et deux jolies fleurs… c’était ma place d’un soir !

Après deux mardi en collaboration avec un talentueux photographe local, il m’a fallu m’adapter à son absence en changeant de place et mon stand a naturellement muté vers une version simplifiée. J’ai pris position derrière ma fidèle table de camping, à laquelle était suspendue l’espiègle écorce d’eucalyptus annonçant “Un coin de nature”, et mon vieil escabeau qui supportait le poids de ma solitude, le brave ! Et pendant des heures, cette dernière m’a offert un magnifique bouquet de rencontres ! Avec des gens qui occupaient des places bien différentes dans le champ social, des places dont la rencontre révélait chaque fois une richesse et des nuances a priori insoupçonnées : un principal de collège révolté qui ne comprenait pas comment on pouvait s’épuiser au travail, une lycéenne impliquée dans une web-radio et une fanzine numérique, un artisan du bâtiment curieux de la nature humaine, une jeune photographe de retour du Ladakh avec encore plein d’étoiles dans les yeux, un jeune-vieux woofer en permaculture qui découvrait enfin la vie, une personne souffrant de troubles psy passionnée de livres, un journaliste indépendant en vadrouille, une infirmière discrète et dubitative, une professeure de piano désabusée de voir son métier évoluer vers « une garderie de mômes », un artisan d’art qui a délaissé le business du jeu de société pour retrouver son équilibre… Devant cette solitude qui nous observait, nous avons parlé et transcendé, un peu, cette maladie du manque d’amour qui nous guette tous…

La solitude

Tout ce petit monde affluait et refluait dans l’allée du marché comme la respiration d’un organisme vivant. Chacun était unique et tous nous étions liés sur cette place partagée, par cette étincelle de rencontre, nous enrichissant mutuellement les uns des autres. C’était simple et beau. Sous les étoiles, c’est nous qui brillions humblement mais intensément, chacun révélant doucement l’autre par son propre éclat. Accolé à la librairie nomade, je me sentais bien. Ça m’a fait oublier que le matin même, la Maison Départementale du Handicap venait de m’annoncer qu’ils proposaient un rejet de ma demande d’allocation, me jugeant (sans jamais m’avoir rencontré) apte à travailler à mi-temps… Ce courrier a résonné en moi comme un coup de tonnerre, un effacement de mon existence du champ social, comme lorsqu’une trappe s’ouvre dans un James BOND et avale un pauvre hère qui disparaît non seulement du scénario mais aussi de la mémoire du téléspectateur. Moi qui avais jadis lu et tant aimé Le contrat social de JJ. Rousseau, je me trouvais sommé de gagner ma vie ou, si je n’en étais pas capable, de disparaître.
C’est ce que j’ai fini par faire, à minuit, alors que le parc s’était vidé de ses joyeux et improbables camelots d’un soir… J’ai fini par remballer mon barda et regagner ma maison voisine plongée dans le sommeil. J’étais heureux même si je savais que je venais d’épuiser mes ressources physiques de la semaine et que les jours à venir s’annonçaient difficiles. Je savais qu’en m’économisant un maximum, je gardais une chance de pouvoir revenir mardi prochain. Pour occuper à nouveau ma place, fût-elle intermittente et chimérique, sur ce marché nocturne de Vals-les-Bains.
Avant de me coucher, j’ai pensé aux quatre livres qui venaient de débuter autant de nouveaux voyages de lecture : à Annecy, Limoux ou ici et là en Ardèche. Puisse ce récit en partage éclairer chacun et chacune à la place qu’il occupe au présent, et lui donner l’envie de s’aimer tel qu’il est, au milieu des autres, de ces rencontres inspirantes et de ces jeux de rôles parfois si dévastateurs, dans ce drôle de marché qu’est la vie. Et j’ai pensé à ces graines invisibles semées dans l’escarcelle de nos destins. J’ai imaginé qu’au delà des difficultés qui s’annonçaient, l’une d’elle puisse pousser et embellir encore le jardin de ma vie, cette place qui s’invente et se renouvelle chaque jour.
A mardi !
Retrouvez quelques-uns des exposants du marché, ces compagnons de route ! Boutique de bistanclak, bijoux & déco, Les jardins de Moucheyres, Maleaume Hirsch, LeMokiroule, La Soucoupe Roulante, Simon Bugnon, photographe naturaliste, … plus d’infos sur la page d’ Anim’vals

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