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Le salon des écrivains, des livres et des secrets…

Dimanche 19 août 2018 : salon des écrivains dans le parc de Vals les Bains. Une première et l’occasion, entre deux vacances d’été, de replonger dans l’accompagnement de ce livre expérimental qui, depuis 3 ans et demi, ne cesse de me guider et de m’émerveiller…
En prévision de la température caniculaire qui anesthésie la vallée, j’ai emprunté la camionnette de ma belle-sœur qui abrite son grand parasol professionnel avec lequel elle écume les marchés pour vendre ses légumes bio… Surprise, un canapé et deux fauteuils sont chargés dans le camion : un voisin les leur a donnés et mon frangin les livrera dans quelques jours à ma cousine qui vient d’emménager sur Lyon… Les risques d’être le seul à posséder un camion dans une famille nombreuse ! Bref, j’imagine de suite ces vieux fauteuils confortables installés sous les arbres du parc pour inviter les badauds à feuilleter le livre… Je souris. Ce stand éphémère s’improvise, comme à chaque fois, de bric, de broc et de légèreté !
J’arrive donc le dimanche matin au volant du fourgon, dans lequel j’ai chargé le minimum : un carton de livres et le dessin de l’amour encadré, quelques feuilles issues de la gâche d’imprimerie du livre pour recouvrir la table pliante, deux chaises et un présentoir en plastique sauvé de la déchetterie… Je n’ai jamais su me contenter d’un sac à dos pour l’aventure, je préfère les caravanes… Finalement, l’évènement se tient rive gauche, à l’ombre d’immenses arbres, dans un coin calme du parc. La plupart des écrivains sont déjà là, alignés dans l’allée centrale, debout derrière une table de camping recouverte d’un tissu modeste et de leurs livres, bien-sûr. Je pose le camion en vrac devant la grille la plus proche et me fais aider du mari de l’élue à la culture de la ville pour amener mon matériel à travers les stands déjà en place. Nous ne passons pas inaperçus avec le grand parasol bleu et jaune, puis le fauteuil qui traverse le parc les quatre pieds en l’air ! Pourtant, un fauteuil dans un salon, rien de plus normal non ? Je laisse quand même son petit frère dans le camion, il faut savoir rester raisonnable… Mais j’aime l’idée, quand je participe à un évènement public, de proposer un espace-temps d’accueil avec une atmosphère, une proposition, une histoire… Un territoire en somme. Faute de place dans l’allée centrale, je me pose un tantinet en retrait, devant la passerelle qui enjambe la rivière Volane. Il y a moins d’ombre mais le parasol fera son office et là, je me sens bien, au carrefour des passants qui passent, aux Lisières que décrit si bien Olivier ADAM…

Un livre, un parc, un fauteuil, un parasol. Le début d’une aventure…

Une fois installé, je profite que le parc est encore vide pour faire le tour du propriétaire et faire connaissance car aucun visage ni nom ne m’est familier. La majorité des écrivains présents ont le cheveu gris et je découvre que la plupart d’entre eux sont des retraités qui consacrent une bonne partie de leur temps libre à leur passion. Il y a plus de femmes. Beaucoup d’entre elles écrivent depuis toujours mais toutes semblent avoir eu deux métiers : un par nécessité, l’autre par passion. L’une d’elle me confie que l’écriture est pour elle une Thérapie. Je pense à David Lodge et un sourire traverse fugacement mon visage… D’ailleurs il y a aussi quelques hommes. Deux sudistes du Vaucluse, qui ont pris l’habitude de voyager ensembles sur les salons, me brossent le tableau, avec l’accent : « Il faut être doux dingue pour écrire un livre aujourd’hui » me confie le plus prolixe des deux. « Au début, quand tu as fini ton premier manuscrit, tu es content de toi et tes proches de disent que c’est super… Tu crois que tu vas casser la baraque… jusqu’à ce que tu reçoives la réponse de Gallimard qui refuse ton manuscrit. Alors tu redescends sur terre et tu fais ton petit bonhomme de chemin. Ici personne ne prétend vivre de son écriture » conclue-t-il malicieusement, comme un avertissement au jeunot que je suis. Il faut dire qu’ « écrivain », c’est un mot qui en jette ! Moi quand on me dit écrivain, je pense à Hugo, Hesse ou Céline ! Personnellement, loin de moi l’idée d’être écrivain ! Poète, à la rigueur… Pourtant, ces chefs d’œuvre de la littérature classique hantent forcément les lieux à travers les cœurs qui les ont accueillis, les mêmes qui ont écrit ces livres contemporains, aussi modestes soient-ils. Une inspiration, une culture commune, peut-être une filiation… Mais la comparaison s’arrête là bien-sûr. Même si j’aime à me demander si ces auteurs, pas tous reconnus de leur vivant : seraient-ils édités aujourd’hui ?
D’ailleurs, une journée « du livre » aurait retenu ma préférence, comme intitulé je veux dire, cela aurait sans doute moins impressionné le guillaume qu’une journée des écrivains… Une personne s’approche de mon stand, je retourne sous mon pré carré ; la personne poursuit son chemin, les paroles du collègue résonnent dans ma tête… C’est étrange cette idée de devoir renoncer à gagner sa vie avec sa plume quand on peut ambitionner de vivre de sa spatule, de sa calculatrice ou de sa truelle ! Les places au zénith des éditeurs sont rares… Mais ne pourrait-on justement proposer une nouvelle façon de valoriser son travail d’écriture, à côté de l’industrie du livre, celle-là même qui fait autant rêver que déchanter ceux qui ont de l’encre dans les veines ? La journée le dira peut-être…
Dans cet univers très féminin, je discute un moment avec mon plus proche voisin, un chanteur de 84 ans, dont plus de 60 de carrière, qui a eu son moment de gloire dans les années 80… Échange simple et franc autour de l’époque qui a changé. « Avant, il y avait la vibration de l’instrument de musique, de la voix et de leur mélange qui donnait une chanson. Et puis avec l’apparition des synthés, la vibration s’est perdue et la chanson est entrée dans une nouvelle ère… » me confie-t-il sans amertume. « Aujourd’hui la chanson ne vibre plus et les gens écoutent de la musique pour se divertir… ». Chanter pour des oreilles qui restent sourdes, écrire pour des générations qui ne lisent plus, venir dans un parc à la rencontre des personnes qui ne rencontrent guère… Être artiste est un pari plus qu’un métier semble-t-il… Le parc est encore endormi, je poursuis mon tour d’horizon. Sur les étals, les livres, dont l’immense majorité sont auto-édités par leur auteur, sont surtout biographiques, et souvent dédiés à une personne en particulier. Une mère, principalement, mais pas que. D’autres tournent autour de l’Ardèche. Et puis des romans… Puis c’est l’heure de l’apéro : tout le monde se réunit pour boire un verre. Je discute avec une peintre locale qui me raconte comment ça se passe dans son domaine. Pas plus facile de partager son travail, il faut se montrer humble, persévérant et créatif mais là aussi, les yeux brillent ! Plus de chips, nous regagnons nos postes.
Cette partie du parc est calme mais les rencontres démarrent et s’enchaînent tranquillement. Rien de transcendant mais des échanges, mine que rien. Le livre fait son travail en appelant les consciences à l’affût, je fais le reste. Les messages que je propose restent les mêmes, déclamés avec simplicité et sincérité : l’adaptation et l’empêchement émotionnel, la maladie du manque d’amour, le rêve… Bref le message de la sentinelle sociale que serait l’épuisé… On m’écoute poliment mais la frontière reste nette. Entre la norme et la marginalité, pour ce couple, entre la vérité et le mensonge, pour celui-ci, entre l’amour et le reste, pour celle-là. Peu de place pour la nuance, l’unité. Beaucoup pour la solitude. Derrière les masques, je sens beaucoup de peur, de colère, de désarroi. Je respecte. La plupart d’entre nous ne sommes prêts à entendre que ce que nous savons déjà, écrivait (de mémoire) Orwell dans 1984. Ou en tout cas que ce qui ne nous dérange pas trop dans nos certitudes…

Au carrefour des possibles…

Les heures tournent, on discute, personne n’ose s’asseoir dans le fauteuil ! Dommage. Les allées sont clairsemées ; j’improvise une rêverie en promeneur solitaire autour de la roseraie… Plusieurs “collègues” osent venir voir ce que je fais. Le Livre Vivant semble les étonner profondément. Cette vieille femme pleine de vie, qui écrit « pour se sentir libre », s’écrie spontanément « Cela ne peut pas marcher car les gens ne donnent pas, ils prennent ». Et ajoute qu’elle aussi s’est résolue à faire pareil maintenant, «pour ne plus me faire avoir». Discussion autour de la notion de don, d’amour, d’attente… Une moue se dessine sur ses lèvres finement maquillées ; son regard pétille. Elle repart avec le livre. Le chanteur revient me voir ; il a lu la moitié de l’ouvrage qu’il a acheté tout à l’heure… « C’est très intéressant : tu as eu une enfance heureuse mais on sent qu’il manque quelque-chose… ». Il réfléchit. « Comme si tu ne croyais pas en toi. Comme si tu n’y avais jamais cru ? ». Magie du partage. Je lui réponds : « Difficile d’adopter un regard sur soi différent de celui qu’on a cru toujours recevoir, non ? ». Il repart songeur… Les rencontres continuent humblement sous la chaleur étouffante de cet après-midi d’août. Des jeunes, des anciens, des locaux ou des touristes… Après un joli moment d’échange familial, le livre part dans un cercle de lecture marseillais avec l’idée de réunir tous ses lecteurs en Ardèche. Chiche ?
Je me sens soudain profondément fatigué. Mes muscles me doulent. Au milieu de cette gent créatrice, une idée me vient : est-ce la réalité qui, au lieu de me traverser, comme elle le fait avec les gens normaux, m’habite et me hante en attendant que je la compose, que j’en extraie la moelle et la partage à travers des mots, des pigments ou des sons ? Est-ce ça, être écrivain, cet être littéraire dont parlait Annie Ernaux ? Et la douleur et la fatigue, ne serait-ce pas un peu de la lutte contre cet être qui me submerge ? La lutte avec l’ange, dont parlait Jean-Paul Kauffmann ? Je m’affale dans le fauteuil désuet –je comprends que je l’ai en fait amené là pour moi– et me laisse couler dans ses coussins comme on en fait plus non plus. J’avale une portion de calories et une grande rasade d’eau fraîche. Un instant je m’interroge : est-ce que tout cela a un sens ? Où sont les jeunes ? Où sont les projets d’écriture qui changent le monde, au-delà de l’idéologie et des projets marketing ? Où sont les gens ? Comment les rencontrer ? Comment leur dire tout ce qui bouillonne dans mon ventre, comment leur transmettre cette vibration qui échappe à nos velléités et tente de nous rappeler à nous-mêmes ? Comment jouer mon rôle dans une époque où les selfies projettent au plus grand nombre leur propre image sur le devant de leur propre scène ? Où sont les lecteurs et les lectrices avides de « vibration littéraire » ? Se sont-ils tous faits phagocyter par le costume de touriste qu’on leur a taillé sur mesure ? Ceux d’entre eux qui lisent encore errent-ils tous dans les linéaires climatisés des FNAC ou sur l’appli Amazon de leur smartphone à remplir leur panier de livres comme ont le fait de boîtes de conserve ? Stupeur. Je rejette la tentation de la révolte en pensant à Etty Hillesum qui a écrit dans son journal que « la révolte qui attend pour naître le moment où le malheur vous atteint personnellement n’a rien d’authentique et ne portera jamais de fruit ». Comment quelques simples mots peuvent tout changer ! Un mot, un chapitre, un livre, c’est comme un battement d’ailes de papillon… Je me calme. J’observe autour de moi, dans la rambleur de cette fin de journée, habitée par les frondaisons et le murmure des eaux, les signes susceptibles de me répondre. La chaleur écrasante illustre ce dérèglement climatique en marche dans l’indifférence générale. La torpeur a tout envahi. Autour de moi, tout semble tranquille. Il ne se passe rien. En apparence. Tout juste un enfant qui passe à vélo. Un couple qui baguenaude, une glace à la langue. Une personne âgée qui se repose sur un banc. Le temps semble s’être figé dans cette station thermale surannée.
Je ferme les yeux. Je respire. Je tourne mon regard perçant vers l’intérieur et sonde ce qui s’y passe. Dans ma tête, un monologue continu s’opère à mon insu et semble continuer de tisser sa trame, en attendant la prochaine séance d’écriture. Comme une grande lessiveuse qui désapprendrait en partie ce que je n’avais jamais appris et que je savais pourtant si bien, je veux dire vivre ! Il me faut parfois me rappeler que La chute est derrière moi pour oser reprendre mon souffle ! Au-delà de ces enthousiasmes révolutionnaires, tout est calme. Derrière la fatigue et les douleurs musculaires qui ne se taisent jamais, une chaleur douce me tient compagnie. Je regarde le cadre de l’amour, enlacé autour d’un vénérable pin. Mon regard ricoche. Là-bas, l’adjointe à la culture de la mairie de Vals discute avec le sourire. Elle qui a lancé cette initiative aussi ambitieuse que modeste, croit dans la culture et tant pis si seulement deux de ses collègues sont passés aujourd’hui manifester leur intérêt, soulignant l’indifférence des autres, indifférence qui résonne avec la tendance générale à la mode qui consiste à se lamenter de la « fracture sociale », qui à force de s’aggraver s’est mue en rupture, tout en sabordant la culture, le social et le sport… bref les frêles leviers qui peuvent soutenir la République, au profit d’un prisme économique qui promet tout et détruit en silence ce qui fait la vie… Les écrivains sont-ils des résistants ? En tous cas ceux qui m’entourent semblent bien vivre leur dichotomie ontologique, celle rappelée dans Le manifeste des oeuvriers : se tenir à distance de la norme marchande tout en réussissant à survivre… Survivre, c’est une aventure ! Ils croient dans ce qu’ils écrivent et c’est tout. Même si plusieurs d’entre eux semblent espérer à travers leur livre un rayon de lumière, une trace de reconnaissance… la réussite ne constitue pas un préalable pour eux, ni même une possibilité semble-t-il. Comme si la réussite se situait ailleurs que dans le succès auprès du grand public. Dans ce moment improbable de communion entre un livre, son auteur, un parc et quelques visiteurs curieux… ou perdus. Faut-il pour autant se résigner ? Je pense alors à Tesson et sa gueule cassée qui citait l’un de ses amis, Thomas Goisque je crois, dans un article que j’ai lu cet été et disait un truc qui ressemblait au fait que les livres lus par un faible nombre de lecteurs formaient des micro-sociétés et je souris. J’aime bien cette idée. Une micro-société plutôt qu’une société de masse. Des livres comme des secrets. Des mots comme des regards.

Des traits de crayons pour écrire une autre réalité…

Je rouvre les yeux. Cela me ramène à moi, quelle place j’occupe dans tout ça ? Moi qui refuse de me voir comme un écrivain donc. Moi qui éprouve une immense tendresse pour ce livre que j’accompagne en aventure et derrière lequel je me retranche si volontiers. Comme si mon histoire, mon rôle ou mes idées primaient sur mon présent… Est-ce que je crois en moi ? En la vérité de l’instant présent ? Ou est-ce que je me jauge à l’aune de mon lectorat, de ma renommée ou de mes ventes… Suis-je capable de poursuivre avec humilité et persévérance un chemin créatif joyeux et inconnu ? D’incarner cet écrivain avec simplicité, dans le sillage de ces mots écrits par d’autres, qui m’ont aidé à me construire depuis 40 ans sans pour autant endosser tout l’héritage abscons des représentations qui accompagnent le nom de leurs illustres auteurs et me retiennent dans l’ornière de mon empêchement à savourer mon chemin d’écriture et de vie ? Ne peut-on réunir Narcisse et Goldmund ? Peut-on aimer être Jean-Jacques sans être ébloui par Rousseau ? Doit-on croire à son destin ou bien s’y abandonner ? Alors qu’Hulot démissionnera dans quelques semaines, en pleine rentrée littéraire, est-ce l’époque, toujours folle, violente et inhumaine qui choisit ses causes et ses hérauts ? Ou bien le hasard ? Qui sait ? Écrire est peut-être un acte doux-dingue, un acte d’un autre temps, une démarche perdue d’avance… Mais c’est ce qui me tient vivant, à vrai dire. Faut-il qu’il y ait autre chose ?
La journée se termine. Dommage, la chaleur avait fini par abdiquer et l’air se faire doux. Mais l’heure du repas a sonné ; les ventres se remplissent à mesure que les allées se vident. Pas de regret. Tout est plié. Une dernière collègue, retraitée et ancienne cadre dirigeante, repart avec mon livre. Je lui suggère machinalement de le partager dans son ancienne entreprise, qui appartient à un secteur malmené par la mondialisation et traverse une période de forte restructuration. Sans se retourner, elle répond avec gouaille « La vie est une perpétuelle restructuration ! ».
Merci à Me CHASSON pour l’organisation de cette journée.
Merci à toutes les personnes qui se sont arrêtées sous l’éphémère chapiteau bleu et jaune…
A bientôt et à l’année prochaine pour une glace vanille-fraise à la journée du livre et des écrivains ?

S

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