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Lyon : sur le chemin de la fin du rêve…

Biocoop saxe juin 2015 3 - compressC’était samedi 20 juin une journée d’immersion en plein centre-ville lyonnais, à la Biocoop Saxe-Gambetta. Dans cet environnement bétonné, dense et dur, dans lequel je ne me sens pas facilement à l’aise, j’ai trouvé une bulle de convivialité grâce à une équipe jeune et sympathique qui m’a réservé un bel accueil. Merci !

Côté rencontres, assez peu de curieux parmi les consomm’acteurs (pas facile de dégeler le lyonnais) malgré un placement stratégique près du rayon fromages… Mais une fois la glace brisée, de longs échanges riches avec des personnes aux profils riches : deux comédiens, une infirmière-puéricultrice, un ingénieur retraité, un jeune homme en surchauffe, une épuisée en pleine tempête, une autre en convalescence, une psychomotricienne, une naturopathe, un homme travaillant dans le développement en Afrique, un explorateur de transition… Bref, pas le temps de m’ennuyer !

Rassurant d’arriver à établir ces passerelles humaines dans une ville où les regards se rencontrent si peu, où les cœurs restent sur la défensive…
Mais aussi interpelant de devoir déployer autant d’énergie (préparatifs, transports, hébergement, journée de présence…) pour  seulement quelques rencontres et, in fine, moins d’une dizaine de nouveaux voyages de lecture…

Ainsi va le partage, à la fois si simple et tellement improbable…
Pour en avoir le cœur net, j’ai décidé de rentrer de la capitale régionale jusqu’en Ardèche en stop ! Un défi lancé au formatage et à la marchandisation des rapports humains. Il n’y avait qu’à observer le regard ébahi -ou moqueur- des passants sur le boulevard Tony GARNIER pour comprendre qu’il ne serait pas si facile de décoller de la métropole ! Les prostituées et les mendiants font partie du paysage urbain, pas les autostoppeurs… Après 25 minutes de pouce en l’air au feu situé en face du Mc Do, dans un flot de voitures dense, c’est finalement Aude, une jeune institutrice idéaliste qui s’attendrit pour la mention Ardèche sur mon carton (et, j’aime à le croire, mon joli minois) et m’enlève ; pas le temps de s’engueuler sur le sujet de l’école à la maison, c’est déjà Vienne. Mon voyage commence bien. A nouveau 30 minutes d’attente, un peu déconcertantes, à la sortie de la ville, où je vois passer des centaines de voitures en pleine accélération, rejoindre, à moitié vide, les destinations écrites sur mon panonceau. Pas facile de capter le regard des conducteurs à travers les pare-brises teintés mais de ceux que je croise, rares sont ceux qui traduisent un sourire bienveillant… C’est plutôt l’indifférence, la condescendance voire l’incompréhension. Beaucoup de retraités au visage aussi ridé qu’insondable… Il y aura aussi quelques provocations plus ou moins méchantes. Et puis un Scenic marseillais s’arrête et un couple, bonhomme, me dépose de l’autre côté de Rhône, là où, d’après eux, j’aurai davantage de chances de croiser une âme charitable allant jusqu’en Ardèche… Peu chère, le trafic est 10 fois moindre que sur la N7 ! Et toujours le même accueil. Alors je patiente. Longtemps. Je savais en partant les règles du jeu… Carine, équicoach (elle organise des stages pour les managers au contact de chevaux) m’avance de quelques kilomètres. Puis rebelote avec un jeune maghrébin qui a arrêté tôt l’école et travaille dans le bâtiment. L’heure tourne. En place à Lyon à 16h, il est maintenant 19h et je n’ai parcouru qu’une cinquantaine de kilomètres ! Puis un coup de klaxon me sort de ma torpeur. Un conducteur est passé devant mon carton et a fait demi-tour pour me charger. C’est Xavier. Je monte dans sa 605 hors d’âge où halète son chien. Il a le regard pétillant ; le visage marqué. Il me raconte sa route à lui : la rue, la drogue, la prison, le travail saisonnier… Malgré les épreuves, il rit et s’enthousiasme pour un rien ! Lui aussi a fait du stop dans sa jeunesse… Il m’explique : « C’est fini le temps de la gratuité, mon gars, du don : il faut payer ! Les gens ils ne comprennent pas pourquoi ils te prendraient dans leur voiture alors qu’ils payent l’essence… C’est triste. » Ouais, c’est triste. Moi je vois les choses autrement : pourquoi refuser de donner ou de rendre service quand en plus, ça ne nous enlève rien ? Ne donner que contre un recours, ce n’est plus donner, c’est échanger. N’assisterions-nous pas au comble de l’égoïsme avec la disparition du don ? Que ce passerait-il si la nature fonctionnait ainsi ? Faudra-t-il un jour payer la chaleur du soleil ou l’oxygène de l’air comme on paye déjà l’eau ou le droit d’habiter sur une parcelle de terre ? Xavier me dépose à Tournon-sur-Rhône vers 19h30. Étape la plus frustrante de mon voyage. Positionné dans le rond-point qui dessert l’A7 d’un côté, la nationale de l’autre, j’assiste médusé à un flux de voitures, toutes immatriculées 26 ou 07. Sur mon carton, en lettres noires : VALENCE – ARDÈCHE.
1 heure d’attente. Face aux coteaux impeccablement couverts de vigne, sous un ciel qui s’enflamme, dans la douceur de ce premier soir d’été, c’est la douche froide. Je gamberge. Les enfants ont appelé sur le portable ; ils sont déçus car je ne les emmènerai pas à la fête de la musique, évènement qu’ils attendent depuis plusieurs jours avec impatience… Je ne peux m’empêcher de penser au Livre Vivant.  Impossible de ne pas établir de parallèle entre le nombre d’automobilistes qui s’arrêtent et le nombre de lecteurs qui m’envoient leur reconnaissance de lecture : une goutte d’eau dans l’océan ! Aurai-je vu la réalité trop belle ? Et si elle n’est pas si belle, la vie, comment subvenir aux besoins des enfants ? Et si je fais « comme tout le monde », quel exemple je leur donne ? Que tout le monde ne s’occupe que de sa gueule, ce serait ça la solution ? Un malaise s’installe. Je doute. Isabelle me rappelle : elle propose de venir me chercher. La nuit s’annonce. Je refuse. Je suis confiant, je vais finir par rentrer à la maison, même si ça prend des plombes… Tant pis pour la fête de la musique.
A ce moment une voiture ralentit et s’arrête. Mathieu m’invite à monter. Mais il faut d’abord charger son fauteuil roulant dans le coffre. Je monte. Il lance « Tous des abrutis ». Je ris, soulagé. Je lui demande où il va ; il me répond qu’il ne va nulle-part, il habite là ; mais qu’il va me faire faire un bout de chemin, que c’est normal parce qu’à ma place, il aurait aimé qu’on le prenne et qu’il sait qu’il y a de fortes chances que personne ne s’arrête… Je suis un peu gêné ; il est content de rouler avec moi ; c’est mon ange-gardien de la journée. Il me raconte son accident de mobylette, son coma, sa douloureuse rééducation, ses symptômes persistants, le passage de son permis de conduire… Mathieu est un battant. Son bras gauche est hors d’usage ; ses jambes ne le portent que sur quelques mètres. Il conduit d’une main à l’aide de la boule accrochée au volant. La boîte automatique fait le boulot. Mathieu n’est pas un ange : il me souffle qu’il se méfie des étrangers… Je ne le juge pas. Je lui dit qu’un « maghrébin » m’a pris en stop dans l’après-midi. Il concède qu’il ne faut pas faire de généralités… Nous arrivons au Teil à 9h30. Isabelle m’y attend avec les enfants, fous de joie. Je donne à Mathieu 15 € pour l’essence. Il repart rejoindre des amis pour la fête de la musique…
Nous rejoignons Aubenas à 22h30 où l’ambiance est à son comble. On danse, on fraternise, on mange une barbe à papa, on croise des connaissances… L’alcool, le haschich et les décibels ont eu raison ce soir des peurs et des murs qui poussent dans nos cœurs. Ils seront reconstruits demain. Ce sera le temps de réfléchir au moyen le plus juste de partager : vendre aux gens ce qu’ils veulent et que l’on porte profondément. Mais quoi ? La quête continue.

Le retour de Lyon m’a coûté 15 € plus un aller-retour Pradons-Le Teil-Aubenas-Pradons. Soit plus que les 17 € de covoiturage. IMGP3309 - CopieMais moins que les 45 € de TER… J’ai mis plus de 6 heures pour faire un trajet qui en demande la moitié… Mais j’ai rencontré des personnes que je n’aurais jamais rencontrées ! Bizarrement, elles ne font pas partie de la norme…  Comme si elles se tenaient à bonne distance du Rêve. Elles ne sont pas meilleures que les autres mais peut-être cette distance leur permet-elle de vivre plus concrètement leur vie, et de saisir les opportunités de partage qui se présentent plutôt que de les vivre comme des sollicitations ? Merci à elles de m’avoir fait confiance, de m’avoir rendu service et offert ces belles rencontres. Ce don qu’elles m’ont fait, je tâcherai de le transmettre à mon tour, demain, en prenant un autostoppeur, en donnant un objet à une association (plutôt qu’en le vendant d’occasion) ou en offrant une Rencontre gratuite à des participants… Ainsi va la vie.

Peut-être les personnes qui m’ont interpelé ce week-end sur le titre du livre, réfutant sa dénonciation du rêve, liront cet article. Comme nombre des automobilistes qui fonçaient vers leur rêve, elles refusent d’envisager la fin du rêve ! Arrêter de rêver ? Impossible. Le rêve les fait tenir dans ce monde abrupt. Mais à quel prix ? C’est bien de covoiturer, de manger bio, de faire de la méditation… C’est précieux aussi de donner. A soi. A l’autre. Même ce qu’on a pas reçu. Du temps, de l’argent, de l’amour… Sans amour, la vie est un rêve. Pas un mauvais rêve : un rêve.  A chacun son chemin ; ainsi va la vie.

 

 

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