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La dernière Rencontre…

J’étais ce week-end en déplacement sur Grenoble. Pour animer vendredi soir une Rencontre chez l’habitant, puis la journée de samedi à Casabio Saint-Egrève pour présenter le livre aux consomm’acteurs. La routine quoi.

Mais en début de semaine, Jacqueline m’appelle et me signale que malgré l’intérêt suscité par mon intervention dans son réseau, la plupart des invités sont pris sur ce créneau et qu’il vaut finalement mieux décaler la date à la rentrée…
Je profite de cette modification d’emploi du temps pour rattraper un peu de retard de boulot et de sommeil…

Samedi, j’arrive à la Biocoop de Saint-Egrève à 10h. L’équipe est déjà à fond (il manque un salarié) ; je m’installe à une table à côté de l’entrée, heureux d’aller à la rencontre des gens. La journée sera longue…

Difficile de dire à quoi tient le succès ou l’échec d’une Rencontre… De toutes les journées en magasin bio, malgré une bonne IMGP3645affluence, celle-ci sera la plus pauvre. Après des heures d’observation, je constate qu’il n’est ici pas naturel de s’arrêter pour échanger, prendre le livre dans les mains… Il semble exister une distance entre le livre et le grand public, un distance avec l’auteur… Comme si on avait l’habitude de consommer le livre dans son espace intime, pas dans l’espace public ; comme si l’objet livre se suffisait à lui-même…

Après le lyonnais froid, le grenoblois se montre fuyant. Voire indifférent.
Je remarque que je suis placé devant les panneaux d’information de l’association qui gère le magasin et à côté d’une gondole de gourdes suisses. Peut-être me prend-on  pour un bénévole qui cherche à enrôler ? Ou un vendeur de gourdes !
La plupart des regards viennent tardivement de la file d’attente, pensant que je fais partie du magasin et espérant que j’ouvre une seconde caisse… Je me sens transparent. On regarde parfois le livre, vite fait, on le scanne… mais pas moi. Éviter mon regard comme s’il allait en coûter à celui qui le croiserait… Je suis à l’évidence une anomalie dans les rayons ; le plus simple est de faire comme si je n’étais pas là.

Quelle liberté ont les personnes qui rentrent dans ce magasin ? Elles semblent vouloir éviter le contact, la « sollicitation » mais se rendent-elles compte de tous ces produits qui les sollicitent dans les rayons à coup de slogans et de couleurs chatoyantes ?
Quelle ouverture à la vie, à la rencontre, au partage ? Seraient-ce des mécanismes réservés à la sphère intime ? Quelle sont les conséquences de cette réserve relationnelle ? De ce « carapaçonnage » émotionnel ? Manger bio, c’est bien. Mais quid du vivre ensemble ? Sans nous parler, sans lien entre nous, sans lumière dans nos regards… que reste-t-il ?

Et moi, qu’est-ce que je ressens ? Je me sens heureux de (re)présenter mon livre. Je m’ennuie aussi. J’essaie de me centrer et d’accueillir ce qui est là. Mais je ressens aussi un trouble. Toutes ces personnes qui déambulent dans le magasin, exactement comme si elles étaient toutes seules ! Pas un regard. Pas un mot. Une fille est entrée tout-à-l’heure ; je l’ai reconnue tout de suite. Claire, nous étions en classe de seconde ensembles… Son regard a fugacement croisé le mien… Rien. Pas de place pour la rencontre. Elle ne m’a pas reconnu. Plusieurs clientes viennent avec leur enfant, souvent jeune. Ils observent et imitent leurs parents. Ils ignorent très bien leurs semblables (qui les ignorent de la même façon) et ne s’intéressent qu’aux choses. Colorées de préférence…

Je me sens mal à l’aise. Difficile de ne pas avoir d’attente quand on a fait le déplacement exprès pour présenter le livre… Et puis au-delà de cette attente déçue, j’ai du mal à accepter ce que j’observe. Est-ce simplement une étonnante séparation du temps et de l’espace… ou le symptôme d’une conception de la société basée sur l’indifférence ? C’est vrai, qu’est-ce que cela coûterait de se dire bonjour, de se donner des sourires, de se rencontrer ? Un peu de temps. Facilement récupérable par le temps économisé en évitant de flâner dans les rayons à la recherche de produits inutiles… Je sens monter la frustration.

Je balance entre impuissance à apporter ma contribution au développement de ce partage et réalisme car je sens à cet instant, que je ne suis pas à ma place. Que c’est la fin des Rencontres. Les poursuivre serait rêver. Toute cette énergie, cet argent dépensé, ce temps… pour quelques Rencontres hâtives et combien de livres vendus ? 4 ce jour-là ! Pas d’amertume. Mais de la déception. Et un constat.

Je me remémore la venue du dessinateur JUL au festival de BD d’Aubenas… Nous étions 3 dans la salle. Il avait pourtant plein de choses intéressantes à partager. Mais pas grand monde pour interagir ! Paradoxe. Il vend des milliers de BD mais la salle est vide ! Moi je ne vends pas des milliers de livres…

Silence de cathédrale dans le magasin. Les clients sont maîtres de leurs achats ; pas question de se laisser perturber pas un IMGP3642autre univers ! Peut-on faire un parallèle avec leur vie : ils sont sur leur trajectoire, pas question de laisser entre le moindre imprévu ? J’y vois un mode de défense, dans une agglomération abrupte, mais aussi un renoncement. Se comporter comme un client en magasin, comme un salarié au travail, comme un enfant avec ses parents… C’est une liberté qui m’apparaît bien relative !

Un syndicaliste me tire de mes pensées. Curieux. Ouvert. On discute. Je l’interpelle : « De moins en moins de syndiqués mais de plus en plus de problèmes au travail ? ». Il répond : « De plus en plus d’individualisme mais de nouvelles possibilités d’agir, plus concrètes : les gens veulent s’impliquer si ça leur rapporte ». Soit.

Karim, le gérant du magasin m’a écouté et conseillé d’être patient. D’après lui, ce dont ont besoin les gens , c’est du temps, de la crédibilité voire de la renommée… J’ai pensé : « Je sais bien tout ça ! Mais si les gens viennent me voir parce que je suis connu ou que je porte un titre, d’ « expert » contre le burn-out par exemple, où est la « rencontre » ? » Si j’ai proposé ces formats de Rencontres, c’était justement pour respecter les personnes en face de moi en évitant la gageure de la conférence où il y a 1 « sachant » et des « ignorants », en proposant un temps de partage pendant lequel tout le monde apprend de soi et des autres… Derrière la sémantique il y a une énergie. Une intention. Le partage précède l’argent. C’est important. Mais dans les expériences que j’ai menées, le partage est le plus souvent refusé.
Quant à prendre le temps… A l’heure où les livres ont une durée de vie de plus en plus courte, je dois prendre en compte le fait que cette « progressivité », à devenir artiste et être reconnu comme tel, comme tous ceux qui changent de trajectoire à l’âge adulte, je ne l’ai plus… C’est le drame de l’enfant adapté ! Il n’est plus temps de se construire ; il faut gagner de l’argent maintenant. Paradoxe que cette réalité qui impose du temps pour essayer un changement mais impose, simultanément, à celui qui le porte de gagner tout de suite de l’argent ! Quel type de changement peut-on attendre de cette réalité ?

J’essaie de ne pas juger. Juste d’observer, de comprendre ce que je fais là. De faire mon autocritique… Il me reste du chemin pour rayonner… Je cherche à créer du partage ou à m’en nourrir ? A alimenter la transition ou à m’en servir ? Les deux probablement… Mais visiblement, aligner son gagne-pain sur un processus de partage brouille les pistes… Comme si le citoyen, l’ami, le voisin savait partager… mais pas le consommateur ! Et dans ce magasin rentrent surtout des consommateurs… avec lesquels il faudrait du temps pour nouer un lien de confiance. La confiance a besoin de temps, peut-être pour vaincre la défiance, le consommateur est pressé. Et méfiant. L’idée de venir dans un magasin est une erreur. Pour le reste, je ne me sens pas efficace, pas à ma place. A l’évidence, les consommateurs ne veulent pas de partage. Et les gens ? Ils aiment discuter, échanger… mais gratuitement ! Entre amis… Ou alors ils sont prêts à payer pour des conseils d’experts… Je n’aime pas les experts. Je suis de ceux qui croient que chacun porte les réponses dont il a besoin… Qu’aller voir un expert, c’est se rassurer, et acheter une solution qui a peu de chances d’être la bonne si elle ne vient pas de l’intérieur… Ce n’est pas à moi de juger s’ils ont tort ou raison. Alors ce serait ça le dilemme : ce sont les consommateurs qui ont l’argent mais je m’adresse aux citoyens ?
Peut-être qu’en essayant de rencontrer les autres, c’est finalement moi que j’ai fini par rencontrer ; avec mes failles, avec mes illusions ?

coverHier soir, dans l’émission « Envoyé spécial », au cours d’un reportage sur le tourisme collaboratif, un avocat assénait : « Nous ne sommes pas dans une société du partage ». Il a raison. Je pensais que les Rencontres rencontreraient un vif succès car l’être humain, j’en suis convaincu, se nourrit du partage… Mais il semble encore l’ignorer. Comme si la peur paralysait tout… Mais alors toutes ces initiatives participatives ne sont-elles utilisées que parce qu’elles coûtent « moins cher » ? Ou qu’elles sont « à la mode » ? Tout à l’heure, le conducteur de la voiture qui m’a pris en stop, et à qui j’expliquai le Livre Vivant, m’a dévisagé en rigolant. Il trouvait le mécanisme génial… mais complètement inadapté à la réalité sociale ! Il s’est tout de suite inquiété : « Comment tu vas faire pour vivre ? » avant de s’écrier : « C’est du rêve ! ». Peut-être le dernier chapitre du livre…

 

Merci à l’équipe de Casabio de Saint-Egrève pour son accueil et sa confiance 🙂
Merci à Karim pour sa grande sagesse.
Merci aux intrépides grenoblois qui ont eu la curiosité de partager un moment avec moi.
Merci à tous les autres dont l’indifférence me permet de mieux me rencontrer et me centrer sur mon chemin.
Merci à ce romancier en colère qui a déversé toute sa haine des autres sur moi, c’est un bon exemple à ne pas suivre.

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