Blog

100 bibliothèques vivantes ?

L’opération 100 bibliothèques vivantes est dans les tuyaux ! J’ai consciencieusement renseigné dans un tableau excel chaque département français avec les coordonnées de la médiathèque centrale de chaque préfecture afin d’envisager la présence de Burn-out : la fin du rêve dans tous les départements d’ici à la fin de l’année !100bib2015ce

Ensuite, il faut décrocher le téléphone et appeler… Chaque établissement a ses horaires. Lorsque la réceptionniste décroche, il faut arriver à parler à la personne en charge du rayon adulte ou des acquisitions. Parfois c’est immédiat, parfois il faut rappeler, parfois il faut déjà envoyer un courriel. Bon. « Vous savez c’est pas de la tarte de présenter un projet expérimental par courriel… Moi, je n’aimerais par recevoir mon mail : il est long et pas forcément très compréhensible : on y parle de Livre Vivant, de voyage de lecture, de reconnaissance de lecture, de burn-out… » Mais j’envoie le mail qui viendra probablement s’ajouter à une interminable liste d’attente qui accapare son destinataire devant son écran et l’empêche de répondre au téléphone…

Lorsque j’ai au téléphone la bonne personne, il y a trois scénarios. Soit la personne est intéressée par ce projet atypique. Soit elle s’en fout. Soit elle est sur la défensive. Dans le premier cas, la personne me parle du projet : elle pose des questions, s’interroge, réagit, réfléchit… Dans le second… elle ne parle pas ! Dans le dernier cas, la personne ne parle pas du projet mais de ses freins, souvent avant même de savoir de quoi il s’agit vraiment : « c’est trop cher, la bibliothèque ne travaille pas en direct avec les auteurs, il faut rentrer dans la procédure d’appel d’offres, je n’ai pas le temps, le rayon burn-out est complet, nous ne référençons pas les témoignages, il fait trop chaud en Espagne »…

Au départ, je me décourageai de cette démarche lourde qui aboutissait trop souvent sur des freins systématiques. J’étais dans l’incompréhension. Je découvrais le milieu des bibliothèques et m’attendais à un tissu culturel ouvert, curieux, entreprenant… À interagir avec un acteur institutionnel d’éducation populaire, d’animation de la transition, bref, un agent de changement. Alors c’était la douche froide lorsque je sentais mon interlocutrice (il s’agit surtout de femmes) sur la défensive, m’expliquant que quel que soit mon projet, il ne pouvait pas être acheté parce qu’il ne collait pas à la procédure. Je ressentais à nouveau cette satanée procédure dans ma chair, celle qui avait permis à un médecin expert de me déclarer apte alors que j’étais dans un état de souffrance aigüe, et de me faire péter mes indemnités journalières… Et que dire du « c’est trop cher » d’un établissement qui gère des centaines de milliers d’euros et achète des centaines de « produits culturels » ? Il me rappelait les partenaires du journal, avant mon épuisement, qui se désolaient de ne pouvoir participer au pacte social au travers d’une publicité : trop chère ! Il y a même eu le « c’est trop humain, trop vivant, nous ne référençons que des ouvrages techniques » ! Proposer des ouvrages « techniques » écrits par des « experts » pour prévenir ou informer du Burn-out, processus largement alimenté par ce manque de vitalité… n’est pas une mince gageure, un comble en fait ! Il m’a fallu me ressaisir. Rester enthousiaste et accepter la réalité. Bon, Burn-out : la fin du rêve ne sera pas dans les rayons de la bibliothèque de Gap, Mende ou Lyon… C’est bête, mais c’est comme ça. Au départ planifiée sur les 5 derniers mois de l’année 2015, j’ai du revoir mon optimisme et inscrire l’opération 100 bibliothèques vivantes dans la durée…
J’ai pensé à l’alimentation biologique. Tout le monde sait désormais que l’agriculture chimique (dite « conventionnelle ») et la nourriture industrielle sont toxiques pour la santé mais la grande majorité des acteurs de la chaîne agroalimentaire, du paysan jusqu’au consommateur lui restent fidèles ! Jusque dans les cantines scolaires ! Même les grands chefs étoilés (le vin est par exemple rarement bio…) ! Oui, ça coûte un peu plus cher. Oui ça demande un petit effort pour aller chez le producteur ou retourner acheter des produits frais… Et dans un monde de consommation où tout est fait pour gagner du temps et supprimer cet effort, au moindre coût (à court terme) alors oui, acquérir Burn-out : la fin du rêve va demander un effort à la personne de la bibliothèque. Celui de m’écouter au téléphone, lire mon message, télécharger le livre numérique et le lire dans un contexte de suppression de postes, de le partager avec ses collègues, de convaincre sa tutelle financière, dans un contexte de budgets en chute libre, de trouver une astuce pour contourner la procédure d’achat de plus en plus contraignante, de commander le livre, d’y coller la vignette d’information des lecteurs et d’expliquer à ces derniers, et peut-être de faire vivre un projet pédagogique autour, les tenants et les aboutissants de ce livre-projet ! Voilà ce parcours d’obstacles que représente l’acquisition d’un livre vivant par une bibliothèque.biblio

Certains y verront une surcharge de travail et un nid d’emmer*** ! D’autres le sel de leur travail, à la découverte d’anomalies dans un système qui formate, créatrices de liens qui humanisent un monde pas toujours très convivial, tel un colibri portant une initiative vivante dans un moment critique de notre histoire…

Pour ma part, je vois cette situation d’un œil finalement bienveillant. L’écriture et l’édition du livre n’ont pas été des étapes de consommation. Il me paraît tout à fait cohérent que l’acte d’acquisition ne le soit pas non plus. Tant pis si je « rate » quelques ventes et sincèrement désolé pour les habitants des territoires dont la bibliothèque aura obéi à la procédure ou aux croyances du moment… Mais quel plaisir, au téléphone, de sentir battre le cœur d’une bibliothèque, d’entendre des mots comme « je vais en parler à mes collègues », « ce serait intéressant d’envisager un accompagnement de ce livre », « nos règles administratives et budgétaires sont assez strictes mais nous trouverons une solution » « nos budgets sont en baisse mais votre projet nous intéresse »… D’arriver à présenter ce projet humain pendant 10, 20 voire 30 minutes avec une inconnue et sentir l’accueil, la compréhension, bref le partage s’instiller à travers les grésillements du combiné téléphonique !

Combien de bibliothèques relèveront le défi de découvrir vraiment un livre autoédité par un inconnu, alter témoignage d’un sujet surmédiatisé -le burn-out– au carrefour des formats pré-établis et des sujets spécialisés d’une société malade qui se défend du changement, et qui coûte deux fois plus cher qu’à l’habitude ? Et combien l’achèteront ? Combien feront un pas de côté, ce pas même qui caractérise notre humanité via notre liberté, notre créativité, notre besoin de créer du lien ?

Alors oui, je considère que les établissements qui franchiront ce cap feront montre d’une vitalité enthousiasmante et prendront part aux prémisses de cette civilisation du partage qui constitue, non un rêve, mais un projet humain réaliste et salutaire de vivre ensemble. Rendez-vous en fin d’année pour un premier bilan !

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *