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10 bibliothèques vivantes ?

100bib2015ceL’opération 100 bibliothèques vivantes a été préparée pendant l’été 2015 et véritablement lancée en septembre 2015. L’objectif, simple, était de contacter une bibliothèque par département pour lui présenter le projet de Livre Vivant et lui proposer d’acquérir un exemplaire de Burn-out : la fin du rêve.
Je pensais à ce stade que les bibliothécaires seraient enthousiastes à l’idée d’accueillir et partager le Livre Vivant avec leurs lecteurs ; enfin un projet expérimental pour réfléchir et bouger les lignes de la « chaîne du livre » !

livrevivantÀ l’origine prévu pour un mode de diffusion alternatif entre particuliers, le Livre Vivant a néanmoins toute sa légitimité à être partagé par les adhérents des bibliothèques dans le cadre de leur action de service public ! C’est pourquoi un mécanisme a été imaginé : proposer aux établissements intéressés par cette expérimentation d’acheter le livre à son coût de revient de 10 € et de payer un droit de prêt (nombre de prêt et durée illimitée) de 30 € auxquels il faut ajouter 5 € de frais de port. Soit un total de 45 €. Le prix d’un ouvrage d’art. C’est plus cher qu’un ouvrage « conventionnel » mais ce coût recouvre une fabrication française à tirage limité respectant l’environnement, une rémunération équitable pour l’auteur et une démarche artistique riche pour les lecteurs qui deviennent acteurs d’une autre façon de lire… De plus, en pleine crise systémique que doivent affronter les bibliothécaires, comme des millions d’autres travailleurs, ce « pas de côté » financier (relatif quand même compte tenu des dizaines de milliers d’euros que représente un budget acquisition…) mais aussi administratif (il faut passer outre la procédure d’appel d’offre qui verrouille les fournisseurs…) devient tout un symbole. En effet, quelle stratégie adopter face à la crise ? Simplement appliquer, avec zèle, les procédures et les restrictions budgétaires, au risque d’aller contre certains objectifs du métier (diminution de la diversité des propositions de lecture tout en privilégiant les gros éditeurs…) tout en renforçant, indirectement, les leviers de la crise (la crise économique incite de plus en plus d’éditeurs à des stratégies discutables parmi lesquelles les choix d’édition, les cahiers des charges de fabrication de livres qui utilisent de plus en plus souvent des papiers venus de loin et des imprimeries étrangères…) ? Ou, au contraire, réagir en redéfinissant des marges de manœuvre et en privilégiant les ouvrages « vivants » ? La philosophie purement comptable qui gagne petit à petit l’ensemble de la société va-t-elle aussi s’imposer dans la culture ? Comment réinventer le monde si les leviers culturels disparaissent ? Comment éviter que toute cette frustration n’aboutisse à de la violence, seul exutoire restant ?

Comme dans une cantine municipale : vaut-il mieux respecter les « procédures » et s’approvisionner chez un industriel en chaîne du chaud hygiénique et peu coûteuse au risque de livrer une nourriture insipide ou bien s’impliquer et trouver des fournisseurs bio et locaux pour une nourriture de qualité qui éduque nos enfants mais avec un budget plus élevé et une activité bactérienne plus significative ? C’est un débat que chacun tranche, en conscience ou, le plus souvent, inconsciemment en laissant la procédure, la norme, agir, avec la sincère conviction qu’il n’a pas le choix.
On retrouve donc, même à cette échelle de terrain, le fameux There Is No Choice (TINA) que nos politiques et chantres du libéralisme nous servent à longueur de journée… Celui-là même qui dévitalise nos vies et produit tant de Burn-out
La boucle est bouclée. IMGP3206 - Copie

Moi non plus je n’avais pas le choix à l’origine de mon projet éditorial. J’ai pourtant imaginé le Livre Vivant, et imprimé 2 000 exemplaires de cet ouvrage singulier même si, contrairement à une bibliothécaire, je n’ai pas de salaire garanti. Je suis comme ces milliers d’entrepreneurs qui osent proposer un autre chemin. Tous, nous avons besoin de partager ces choix audacieux avec le public pour construire un autre futur, celui que tout le monde dit vouloir, mais que si peu sont prêts à accueillir dans les faits.

Jugez plutôt.
J’ai en 6 mois contacté effectivement 25 établissements ce qui a nécessité beaucoup plus de temps que ce que j’avais imaginé (il faut trouver les coordonnées, appeler et rappeler pendant les horaires d’ouverture, arriver à obtenir la bonne personne au bon moment, lui expliquer, envoyer un mail, la relancer une fois, deux fois, trois fois…) !

  • 22 ont refusé le projet ou n’ont pas donné suite ;
  • 2 sont en cours de réflexion (dont un depuis plusieurs mois) ;
  • 2 ont acheté le livre.

Soit, grosso modo, un ratio de 1 pour 10 qui nécessiterait, pour atteindre les 100 bibliothèques vivantes, que j’en contacte 1000 ce qui me demanderait, puisque j’en ai contactées 25 en 6 mois, 10 ans de travail !

Je regrette tellement que les adhérents de ces établissements ne puissent accéder au livre précisément à cause de ce qui fait tout son intérêt : parce qu’il est différent !

Comment continuer dans ces conditions ? Même si je suis très attaché à cette opération car elle a pour moi beaucoup de sens, les chiffres et les récurrentes réactions de résistance au changement des bibliothécaires me disent objectivement d’arrêter… Je dépense tellement de temps et d’énergie en vain et au détriment d’autres projets qui sont actuellement en attente…Nuage mots main

C’est donc en écrivant les lignes de ce bilan, dont je me rends compte que j’ai inconsciemment repoussé la rédaction au fil des dernières semaines, que je prends conscience que l’opération 100 bibliothèques vivantes est en réalité déjà finie. C’est un échec. Un de plus pourrait-on dire. Après le manque de relais médiatiques, la faiblesse du taux de reconnaissances de lecture et l’arrêt des rencontres qui coûtaient plus de frais logistiques qu’elles ne généraient de ventes (sur lesquelles je ne gagne pas de rémunération).

Ce soir, je suis un peu dépité. Le contrat social s’est fait violer par la profitabilité à n’importe quel prix et j’ai presque l’impression que la plupart des gens ne trouvent pas cela si grave… Un livre avec une écriture normative, un scénario d’action non impliquant, un papier importé de Suède, imprimé en Slovaquie ou en Chine et qui produira des tonnes d’invendus qui partiront à la poubelle… ça devient la norme, donc c’est que c’est bien non ? Je pousse un peu le bouchon, je reconnais. À peine en vérité… C’est la déception.

Le changement ne viendra pas des institutions. C’est une certitude. Dans leur grande majorité, et malgré quelques courageux résistants et autres lanceurs d’alerte…  médias, écoles, bibliothèques, politiques… faillissent dans leur mission d’agent de changement et, ce faisant, ne font que représenter chacun d’entre nous dans nos résistances au changement ! Tous dénoncent le monde d’aujourd’hui mais personne ne prépare celui de demain. Nous continuons d’avancer vers le vide…
Or, ce diagnostic confirme à mes yeux tout l’intérêt de partager le livre Burn-out : la fin du rêve.
Mais comment ?

Et dans ces conditions, comment poursuivre les 2 autres projets en cours ? À quoi bon ?

Ce soir, je n’ai pas la réponse.

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