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Les piécettes et les œuvres d’art inachevées…

La nuit a été courte… La soirée pleine de rencontres et de douceur estivale. Le montage du stand a été un peu plus rapide que la première fois mais a quand même nécessité une bonne heure, à deux gaillards, en plein soleil ! Les sommiers en bois servent de galerie improvisée sous un barnum prêté et du matériel de camping en quête d’aventure… Notre coin de nature est situé en bout de marché, un peu à l’écart (tous les exposants n’étaient pas arrivés quand nous nous sommes installés un peu trop loin et un peu en retrait des autres…) comme une proposition improbable…
Plus de monde que la semaine passée ; beaucoup de passage, donc, mais des personnes qui se tiennent un peu à distance, parfois intriguées par ce stand atypique et un peu mystérieux… Il faut aller au contact. Doucement. Trouver les mots et la bonne distance pour présenter notre démarche. Pour créer un lien à travers la défiance, l’incrédulité ou l’indifférence des habitudes. Alors parfois les personnes s’ouvrent et s’intéressent. Je dis à un enfant timide : « Ici, la curiosité n’est pas un vilain défaut, tu peux poser toutes les questions que tu veux… » sous le regard amusé de sa grand-mère. Je remarque que souvent les enfants sont plus hardis que leurs parents. Ils s’approchent, touchent les photos, ouvrent les livres… Celui-ci, un pré-ado, me demande si les dessins du livre sont présentés dans l’ordre dans lequel je les ai exécutés ; celui-là, quatre ans et demi, détaille avec une étonnante justesse les autoportraits exposés et me confie qu’il trouve les dessins très beaux J’observe plusieurs mamans interdire à leurs enfants de toucher les livres, de peur qu’ils ne les abîment… J’essaie d’intervenir, respectueusement, pour permettre à l’enfant de satisfaire sa curiosité et pourquoi pas nourrir sa vocation… Je demande à un ado et sa petite amie Quelle est la place d’un artiste aujourd’hui dans la communauté ? Lui m’avoue avec un sourire gêné mais sincère qu’il joue de la musique et aime chanter… Moment de complicité et d’encouragement. De partage.
Le livre Burn-out : la fin du rêve parle de la maladie du manque d’amour. Je la vois qui hante les passants qui passent… Parfois dans les yeux, souvent dans les cœurs. Je la devine, dans la distance, je la sens dans la pudeur, je la perçois dans la colère qui couve… La communion autour de l’équipe de France de football ou des feux d’artifice de la fête nationale ressemble à une évanescente nuit d’ivresse… Je la sens aussi dans mon cœur à travers l’acidité de mes attentes, croyances ou jugements et veille à la soigner par le miel des rencontres… Le livre parle aussi de cette flamme qui malgré tout brille en nous. Le soleil se cache derrière la frondaison des platanes. Nous installons des spots sous le barnum pour éclairer les cadres et l’atmosphère devient presque intime. Des gouttelettes nous parviennent effrontément de la fontaine qui murmure pas loin. C’est l’été.
Discussions improbables sur l’amour avec les invités du soir, presque exclusivement des femmes, comme souvent. Démystification du Burn-out (les personnes qui le vivent l’auraient bien mérité). Sensibilisation d’une famille qui a des livres plein les bras sur la condition de l’auteur, la marchandisation du livre et sa fabrication à l’autre bout du monde… (chacun ouvre alors son livre et regarde où il a été imprimé : France, Espagne… mais d’où vient le papier ? mystère…). Quelques réactions défensives, comme s’il existait deux camps, les bons et les méchants, et qu’il fallait choisir le sien. Quelques sourires avec les yeux aussi. Graines semées dans le vent…
Les bénévoles d’ Anim’vals ont travaillé : le marché commence à être connu et l’affluence rassure et encourage… C’est aussi l’occasion de revoir les exposants de la dernière fois (Boutique de bistanclak, bijoux & déco, Emilie et ses légumes bio (Les jardins de Moucheyres) et d’en rencontrer d’autres qui font ce mini souk : Elodie et ses paniers en osier ; Maleaume Hirsch le virtuose du tournage sur bois… Je commande un livre qui parle d’amour au LeMokiroule installé gaiement à l’autre bout du marché et passe devant la La Soucoupe Roulante et d’autres stands où j’aurais envie de m’arrêter pour faire connaissance… mais le temps file et il faut trouver un équilibre. Des amis sont passés tout à l’heure et j’étais aussi heureux de les voir que gêné de ne pas pouvoir me rendre plus disponible pour partager plus longtemps avec eux… On croit toujours que le poète ne travaille pas ou si peu…
Je vais relayer mon partenaire, Simon Bugnon, photographe naturaliste, dans notre coin de nature… C’est l’occasion de faire connaissance. Les artistes sont souvent des solitaires, sans que je sache s’ils tentent ainsi de se prémunir de cette maladie du manque d’amour ou si c’est le système qui s’efforce de les tenir à distance, par crainte d’une contagion dans l’autre sens non moins effrayante… Nous sommes tous des artistes ! C’est passionnant de découvrir l’histoire et l’humanité qui se cache derrière le pinceau, la plume ou le reflex…
Un poète dans un marché, une place incongrue ? Je pense au roman que je suis en train de lire « Soufi, mon amour » d’Elif SHAFAK, dans lequel un marché est décrit. Extrait : « Dans le bazar, je tombe sur des barbiers itinérants avec leurs engins à saignée, des diseuses de bonne aventure et leur boule de cristal, des magiciens qui avalent du feu. Il y a des pèlerins en route pour Jérusalem et des vagabonds que je soupçonne qu’ils sont des soldats qui ont déserté lors des dernières croisades. J’entends des gens parler vénitien, franc, saxon, grec, farsi, turc, kurde arménien, hébreu et de nombreux dialectes que je ne peux pas distinguer les uns des autres. Malgré leurs différences apparemment innombrables, tous ces gens me donnent un sentiment similaire d’imperfection, de travail en cours. Chacun et une œuvre d’art inachevée. ».
La soirée se termine sous les étoiles. Il fait doux et la nuit invite à la flânerie. Il est 23h, nous sommes les derniers à remballer. Mes livres sont couverts d’une fine couche de sable, comme s’ils avaient voyagé à l’autre bout du monde ! 6 heures de marché, j’ai vendu deux livres. Ce n’est pas grand-chose, quelques piécettes déjà dépensées… Mais ça n’est pas rien : c’est deux nouveaux voyages de lecture, deux aventures qui s’imaginent ! Et combien de rencontres, combien d’émotions, combien de touches colorées perfectionnant ces œuvres d’art en construction que nous sommes ?
Est-ce que nous reviendrons la semaine prochaine ? Le mental est sceptique ; le cœur est enthousiaste… Inch’Allah !

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