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Zip & Collect #3

Lundi 10 mai 2021. Me voilà de retour dans la cuvette Grenobloise, là où j’ai grandi. Depuis l’Ardèche où j’ai élu domicile, cette agglomération prend des airs de jungle urbaine et suscite en moi un mélange de sentiments contradictoires. L’enthousiasme face à cette concentration d’opportunités pour se faire soigner, pour faire de belles rencontres ou pour s’équiper… Le stress face à une certaine forme de violence, à l’indifférence et à la pollution… Dans cette forêt de béton, libérer un livre à l’état sauvage tient de la gageure… Mais j’ai décidé que le deuxième exemplaire Zip & Collect serait destiné à l’hôpital Sud d’Echirolles (38) ou je dois me rendre pour des examens. Cela me plaît de confier un livre dans cet antre où tant de gens, de tous les horizons, vivent à la fois la souffrance et la guérison. On naît et on meurt à l’hôpital. L’ombre et la lumière. Je sais aussi comme les soignants sont mis à rude épreuve, particulièrement dans ces temps de crise sanitaire ! Nombre d’entre eux ont connu, connaissent ou connaîtront les affres de l’épuisement… Je rentre dans l’édifice austère et suis accueilli par une machine qui m’imprime un ticket et me donne RDV au guichet d’un étage que je suis sensé trouver en suivant des flèches de couleur collées par terre et sur les murs. J’arrive finalement à destination, non sans avoir demandé mon chemin à une personne en chair et en os ! J’attends dans une première salle d’attente, puis dans une deuxième, un peu plus loin avant une troisième (la deuxième n’était pas la bonne !) et puis enfin dans un box. Après un entretien expéditif, je sors enfin. Bon pour le service. C’est le moment que j’attendais avec fébrilité. J’erre dans les couloirs, mon rythme cardiaque s’accélère. L’appréhension de déposer le livre est renforcée par le contexte de crise sanitaire qui interdit, a fortiori dans un hôpital, de laisser trainer quelqu’objet que ce soit ! Mais ce geste me semble prendre encore plus de sens dans ces conditions. J’avale ma salive et continue mes repérages. Impossible dans les couloirs, trop indiscret dans les salles d’attente ! J’approche de la sortie. Pas question de le poser devant l’entrée, un groupe de fumeurs me repèrerait immédiatement. Reste le hall. Pas facile de lui trouver son nid dans cet espace aseptisé seulement meublé de quelques tables basses et chaises autour… et traversé en permanence par des gens… Petit moment de doute qui résonne avec mon trac ; j’envisage de renoncer… Puis j’aperçois ce vieux présentoir de journaux gratuits, vide, abandonné près de la sortie. Et je comprends qu’il attendait le livre comme la princesse endormie son prince… Comme si chaque lieu public avait un écrin pour recevoir le livre ! Je sors le bouquin de mon sac et l’y installe, dans un geste rapide et un peu maladroit, avec l’impression idiote de faire une bêtise ! Et que tout le monde me regarde, que quelqu’un va m’interpeler et me commander de reprendre mon « paquet »… Mais personne n’a prêté attention à mon geste. Je pars sans me retourner, le pas court, un léger sourire aux lèvres… Puis un grand sourire sur le visage, quand j’ôte mon masque à l’extérieur !

Le remarquera-t-on ? Dans ce cas, quelle sera la réaction de la personne ? Se montrera-t-elle sensible à la proposition de rencontre ou y verra-t-elle une tentative de transaction marchande intrusive ? Ou une infraction aux règles sanitaires ? Sera-t-il lu ? Par un patient ou un soignant ? Aurai-je des nouvelles de ce livre retourné à l’état sauvage ? La magie opère…

Alors que je m’éloigne en boitant de l’imposant cube blanc, je pense à toutes ces personnes en souffrance à l’intérieur… A ce système de soins qui souffre. A cette société qui souffre. Et je me dis que sans art, une société souffre. Et je me sens heureux d’avoir déposé un grain de sable coloré dans cette grosse machinerie…

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