Blog

Zip & Collect #4

Mardi 11 mai. Je quitte Grenoble sous un ciel gris pour redescendre en Ardèche. Je covoiture et nous sommes un peu en retard pour espérer attraper à la gare de Valence le dernier car, celui qui m’amènera à bon port avant le couvre-feu de 19h. Je respire. Drôle de vie que cette course continue ! On court à droite, à gauche… Moi je ne peux plus courir. Mon genou convalescent est chargé de me faire ralentir. Pour l’heure, je marche avec des béquilles. Il faut souvent que la vie nous mette K-O pour apprécier le simple fait de se tenir debout.

Courte pause sur la dernière aire d’autoroute avant le péage. Je regarde autour de moi. Il y a les toilettes, le snack, les machines à café et quelques personnes assises dehors pendant que leurs bambins s’amusent sur une aire réservée… Pas la moindre trace d’art. Un peu plus loin, les tables extérieures, couvertes d’une pergola, sont désertes. Elles attendent le retour des touristes, prévus en masse dans quelques jours avec le retour tant fantasmé du « monde d’avant »… Je m’approche et dépose le troisième exemplaire du livre en Zip&Collect. Toujours la même excitation. Sera-t-il simplement jeté à la poubelle par un employé de la station-service (à moins qu’il ne le récupère au passage ?) ou emmené à l’autre bout de l’Europe par un routier Polonais ? Ou Espagnol ? A moins qu’il n’atterrisse dans les mains d’une lectrice à qui il donnerait envie de travailler autrement ? Ou dans celles d’un lecteur endormi, qui aurait soudain envie d’expérimenter un nouveau projet ? Ou d’écrire, de dessiner ou faire un peu de poésie ? Ou qui se serait simplement touché par mes mots… Peut-être un enfant en arrachera-t-il des pages colorées pour confectionner un avion de papier ? Qui sait ? J’aime le proverbe qui dit qu’un battement d’ailes de papillon peut créer à l’autre bout de la terre un cyclone.

Je remonte dans la voiture un peu plus léger et regarde avec un sourire s’éloigner dans le rétroviseur cette table transformée en quai des possibles… Nous filons vers la gare où nous arrivons juste à temps pour que je « saute » dans le car qui s’apprêtait à partir. Je ne veux plus courir alors… je ralentis. Sur la Nationale où nous progressons par saccades, entre deux feux rouges, entre deux arrêts, entre deux zones de travaux… je m’amuse de ces trajets à l’ancienne, qui prennent des heures, qui vous brinquebalent dans tous les sens, où il est impossible de dormir… Je m’amuse à observer les voitures, ces conducteurs pressés qui nous doublent en trombe dès que cela est possible. Dans le flot de véhicules, toujours plus nombreux, toujours plus imposants, toujours plus puissants, qui font la queue leu leu sur le ruban d’asphalte qui reste, à certains égards, le dernier lieu de « mixité » sociale, chacun dans le statut social de son modèle, notre lenteur m’apparaît comme un privilège. Notre inconfort comme une chance. Notre ennui comme un refuge. Notre voyage en commun : une joie. Et quel bonheur quand on pose le pied par terre à l’arrivée !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *